Je suis de retour à Madras après quatre jours à Bombay. A l’arrivée, le disque rouge du soleil couchant au bout de la piste de l’aéroport.
Retrouver mon quartier, Manapakkam, et le paysage de bruits familiers que j’ai déjà peint sur ce blog. M’installer à nouveau dans ma petite chambre monacale sur le toit de la maison Repose à Krishna Enclave, restée bien au frais sous le château d’eau. Les moustiques ont dû se languir de moi, ils me font la fête…
19h30, le gong du dîner à l’ashram : chapati, délicieuse sauce aux haricots, un peu de riz blanc. Et l’impatience de retrouver le hall de méditation demain matin.
Quatre jours à Mumbai donc, où je me suis remise – le timing était bien bon, sur plusieurs plans – d’une intoxication alimentaire ; et où je me suis laissée absorber par la mégapole, dont j’ai (entre autres) brièvement visité le plus grand bidonville.
Shivaji Nagar : 600’000 habitants ; la mémoire du tournage d’un blockbuster primé dont vous devinerez le titre ; au bout d’une allée, une crique sur la mer d’Oman ; au centre, une montagne de déchets.
Ce qui prend lorsqu’on arrive à Shivaji Nagar, c’est l’odeur. Avec le temps, la montagne se minéralise, des touffes de végétation prennent racine ici et là. Mais les camions continuent de déverser les ordures au quotidien.
Des flaques d’eau stagnante, de la boue miasmatique, des colonies de mouches. Quelques poules en liberté narguent leurs tristes congénères entassées dans des cages de fil de fer ; des biquettes lasses au bout d’un fil machouillent leur langue ; et un chaton se faufile discrètement.
Sur la montagne, des enfants, des adolescents, quelques adultes fouillent, trient. Dans des espaces à peine plus grands qu’un dressing parisien, à côté d’ateliers d’artisanat très fin, les meilleurs chiffonniers : l’élite du recyclage.
A Shivaji Nagar, ce n’est pas le manque de travail qui pose problème, ce sont les conditions de vie : l’entassement, l’insalubrité et son lot de maladies, respiratoires, cutanées. La malnutrition. La promiscuité. Et le manque d’éducation des migrants, majoritairement musulmans, venus du Nord chercher la richesse dans la plus grande ville d’Inde. Proies faciles pour la mafia, qui contrôle l’eau, l’électricité, le foncier. Le problème est insoluble, et pas qu’en Inde : comment proposer des solutions à quelque chose qui n’a pas droit d’être et qui n’existe officiellement pas ? Ce serait entériner la situation, reconnaître l’état de fait…
Régulièrement, le gouvernement rase. Et systématiquement, ils se réinstallent.
Et pourtant, je n’ai pas le coeur qui se serre. Oui, c’est la misère. Mais la vie est là. Forte, plus forte que tout. Chacun a une place. Et tout semble avoir un sens. Rien à voir par exemple avec Salvador de Bahia, la drogue et la prostitution des enfants. Ici, ce n’est pas une déchéance, c’est un élan de vie.
Elan de vie soutenu par des ONG, dont Apnalaya, qui travaille pour les enfants et les femmes. L’artiste français Georges Rousse a mené pendant une semaine une action bénévole, avec des enfants de l’association, et une petite équipe venue de France. Son emblématique étoile anamorphique a été peinte en quatre versions dans un des locaux de l’association, et des photographies en seront vendues pour donation.
L’improbable confrontation de deux mondes, et le bonheur des enfants de faire quelque chose pour le simple plaisir de l’oeuvre. Karma yoga, dans son sens le plus pur.